Une projection de signes urbains à la Fondation Cartier pour “lire la ville”.

Ils sont un peu des anthropologues visuels des temps modernes, et sans doute aussi un peu dingues. Depuis 1997, Florian Böhm, Luca Pizzaroni et Wolfgang Scheppe ont pris ­ accumulé, diront certains ­ plus de 600 000 photos à New York, dont une partie est projetée en diaporama, le 5 décembre au soir, à la Fondation Cartier.

Le trio fait un travail d’inventaire. Ils n’ont rien du reporter et l’après-11 septembre n’est pas leur sujet. Ils ne sont pas des touristes en quête de sites flamboyants. Ils échappent à la tradition de la street photography, ne cherchent pas l’image belle ou percutante.

Ils désignent des typologies d’objets et de signes de la vie urbaine. Ce n’est pas le plan d’ensemble qui importe, mais le détail, le fragment. Leur protocole est assez gonflé, systématique, à vérifier dans un livre qui illustre le projet. Les images en couleurs sont classées par motif : barrières de travaux en forme de A, vélos sans roues accrochés aux poteaux, inscriptions sur le bitume, plaques d’égouts, panneaux lumineux, bâches bleues sur des immeubles, sacs en plastique sur des horodateurs, typographie des enseignes, façades de magasins, poubelles aux carrefours, inscriptions sur les portières de voitures, cordons de sécurité de la police, écriteaux brandis par des manifestants, etc.

On n’est pas dans la forme grandiose, mais dans le geste modeste, petit, précis, mettant au jour des signes banalisés que l’on ne remarque pas, et qui, accumulés, prennent de l’importance, peuvent devenir poétiques. C’est “une étude à la fois esthétique et scientifique des pratiques sociales, des phénomènes d’appropriation et de détournement, et des stratégies de survie dans la rue”. Ainsi, les bouches d’incendie étant utilisées comme sièges par les vendeurs à la sauvette, les nouvelles contiennent des pics pour empêcher de s’asseoir.

Ce “cas d’étude” permet de “lire la ville”. Il est labélisé SBA (Scheppe Böhm Associates), qui se définit comme “un bureau créatif pluridisciplinaire, basé à New York, Munich et Venise, qui développe des stratégies de communication et d’identité pour des pays, des organisations et des entreprises”. SBA, avec Pizzaroni, développe aussi des projets non commerciaux, comme celui de New York, ainsi appellé “Endcommercial”.

Voilà des gens bien de leur temps. Ils vivent entre l’Europe et les Etats-Unis, opèrent en caméra numérique, prennent des images plus que des photos, adoptent la profusion chère à Internet, et non la hiérarchie des valeurs. Dans le livre, les images se succèdent sans texte, comme sur la grille d’un écran. Florian Böhm était un skateboarder professionnel. Luca Pizzaroni projette des films en plein air, Scheppe est docteur en philosophie du langage. L’influence de Scheppe et du séquençage d’Internet se fait sentir dans le classement des images et des objets en “systèmes”, “ordres” et “identités”, puis en catégories visant à définir des pratiques sociales.